[Ville de Mexico] Natacha: Le lesbianisme est-il une forme de résistance à l’enfermement ?
Natacha Lopvet, française, a passé dix ans dans la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla dans la ville de Mexico ; elle est sortie de prison en mai 2017.
Natacha s’est accrochée à l’art pour résister à l’isolement et au lent écoulement des jours ; en prison, elle a rejoint la troupe de théâtre “Sabandija”, encouragée et lancée par sa compagne Maye. En prison, elle faisait également partie d’un collectif d’artistes qui a pour objectif d’aider d’autres femmes à s’exprimer à travers les arts. Elle s’est engagée à partager avec les autres détenues la joie de la création artistique et, pour ce faire, elle participait à plusieurs ateliers de lecture, écriture, peinture, théâtre ainsi qu’à de nombreuses manifestations culturelles. Natacha a également élaboré plusieurs fanzines qui rendent compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance à travers l’art. Après dix ans de prison, Natacha continue de créer des projets artistiques divers à l’extérieur, elle écrit ses vécus, son parcours et continue à rendre visite à sa compagne tout en menant de nombreux projets ensemble.
« Le lesbianisme est-il une forme de résistance à l’enfermement ? » est le dernier texte qu’elle a écrit pour participer à la 3ème journée de rencontres, d’échanges et de débats « Des femmes face à la prison » : regards croisés, vécus et luttes qui a eu lieu en Ariège le 28 octobre 2017. Nous diffusons ici son texte :
Le lesbianisme est-il une forme de résistance à l’enfermement ?
En prison il y a des femmes qui étaient lesbiennes avant d’y entrer et puis il y a toutes les autres qui, à 90 %, le deviennent, ou qui expérimentent le lesbianisme, depuis la coquetterie en passant par les relations platoniques, jusqu’au projet de mariage et de vie commune, pendant et après la prison. Certaines, après la sortie, retournent avec des hommes mais d’autres restent lesbiennes pour avoir découvert une tendance ou une préférence sexuelle qu’elles ignoraient auparavant.
Des femmes (jeunes en général) entrent en prison et optent pour un rôle d’homme, changent leur aspect, leur façon de se vêtir, de se raser les cheveux, de marcher ou de parler, essentiellement pour se protéger et surtout être maintenue par une femme au niveau économique et affectif : on les appelle les “machin” (petit macho). Elles attirent des femmes, des filles qui cherchent en elles un mari perdu, un père autoritaire, en somme qui cherchent à reproduire un schéma de vie abandonné à leur entrée en prison.
Le lesbianisme est très certainement, entre autres, une forme de résistance à l’enfermement, à l’isolement, à la solitude, à l’abandon, et il est aussi provoqué par une grande promiscuité, des carences matérielles et affectives de grande envergure, une telle adversité rapprochant forcément les êtres.
Malgré les efforts d’ouverture faits ici au Mexique à la communauté LGBTTI* à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, il y a encore beaucoup de discriminations autant de la part des prisonnières que des autorités, dues à l’ignorance, au déni de soi. Je n’étais pas lesbienne en entrant en prison mais au bout de sept ans, je me suis mariée avec une femme qui s’appelle Maye, nous sommes très heureuses.
– Natacha –
* comunidad Lésbico Gay, Bisexual, Transexual, Transgenero e Intersexual (LGBTTI)
Nouvelles du dehorsdedans
Natacha et Maye ont ouvert un blog « Fueradentro » « dehordedans »
https://fueradentro1.blogspot.fr/
« Aujourd’hui c’est jour de visite. Le ciel est bleu et l’air est tiède, même s’il n’est pas des plus limpides. À onze heures tapantes je sors en courant du couloir jusqu’à la salle des visites : Natacha est là, elle est arrivée par surprise, sans me prévenir, et elle m’attend avec une rose à la main, du pain frais et le journal du jour. Nous nous embrassons fort et mon cœur commence à s’emballer. Nous nous asseyons et nous mettons à parler, au début de tout et de rien à la fois, et puis nous nous laissons emporter par l’émotion, nos idées se multiplient et les heures se mettent alors à passer trop vite, à peine sont-elles suffisantes pour défaire et refaire notre monde qui est le monde des anciens et celui des enfants, des enseignants et des ouvriers, des jeunes et de ceux qui sont libres. Le monde qui m’attend dehors et celui dans lequel je vis pour l’instant : celui de dedans. Natacha et moi faisons mille projets pour parcourir sans cesse, pour explorer à fond le monde du dehorsdedans. »
– Maye Moreno –
« Difficile d’être complètement dehors quand quelqu’un est dedans, c’est comme cultiver les deux facettes des sentiments de liberté et d’enfermement, et d’un autre côté c’est résister à l’enfermement en maintenant des pensées infinies. Chacun se situe où il veut ou où il peut, que ce soit dedans ou dehors !!! »
– Natacha Lopvet –
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Fanzine – Écrits de prison : Depuis la prison de femmes de Santa Martha Acatitla
Nous vous présentons ici un fanzine intitulé « Écrits de prison : Depuis la prison de femmes de Santa Martha Acatitla. »
Natacha, Maye, Nancy font partie des 1500 femmes prisonnières qui vivent jour après jour dans la prison de femmes de la ville de Mexico. Avec d’autres prisonnières, elles ont participé par leurs écrits, poèmes et réflexions au fanzine collectif intitulé « LEELATU », qui rend compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de l’attente, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance, du fonctionnement de la hiérarchie carcérale et des classifications du travail en prison, entre autres thématiques liées à l’enfermement.
Nous avons traduit en français quelques réflexions, écrits et poèmes en essayant de faire voyager leur parole et de commencer ainsi à tisser un lien de solidarité avec elles.
Les dessins et les fresques recueillis dans ce fanzine ont également été élaborés par les prisonnières de Santa Martha Acatitla.
… « Tresser des idées, des projets, des rêves, pour réaliser des objectifs reliés à notre vie, parvenir à défaire les nœuds emmêlés que nous n’avons pas réussi à dénouer. Et avec le temps, l’attente, la patience nous éviterons les blessures en chemin, en regardant le monde avec des sourires pour réaliser les fanzines qui accompagnent notre pensée »(…)« Tresser signifie s’emmêler, se rassembler, se mélanger, mais cela signifie aussi se séparer à certains moments (pour faire une tresse, il faut séparer les cheveux) et vivre avec des nœuds qui ne peuvent pas toujours se dénouer aussi facilement que l’on aimerait, il s’agit de tisser différents chemins (les mèches de cheveux) pour les croiser alternativement et former ainsi un seul corps allongé » …
Cliquez sur l’image pour télécharger le fanzine
Quelque part dans la ville de Mexico, la ville monstre.
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Écrit de Natacha Lopvet Mrikhi, une semaine après sa sortie de prison.
Voici un texte de Natacha Lopvet Mrikhi, écrit une semaine après sa sortie du Centre Féminin de Réadaptation Sociale de Santa Martha Acatitla, Ville de Mexico. Lorsque Natacha était en prison, elle a écrit le texte « Les odeurs » [en prison]. Ce nouveau texte fait référence aux odeurs du…Dehors.
Natacha Lopvet, française, a passé 10 ans dans la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla. Elle s’est jointe à la troupe de théâtre Sabandija encouragée et lancée par sa compagne. En prison, elle faisait également partie d’un collectif d’artistes qui a pour objectif d’aider d’autres femmes à s’exprimer à travers les arts. Elle s’est engagée à partager avec les autres détenues la joie de la création artistique, et, pour ce faire, elle participait à plusieurs ateliers de lecture, écriture, peinture, théâtre ainsi qu’à de nombreuses manifestations culturelles. Natacha a également élaboré plusieurs fanzines qui rendent compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance à travers l’art. Après 10 ans de prison, Natacha continue de créer des projets artistiques divers à l’extérieur.
ODEURS DU … DEHORS
L’odeur des churros là juste au coin de la rue
Excitant l’odorat, l’appétit et les souvenirs
Odeur de goyave, de mangue, de papaye, de noix de coco et de fraise
Mélangée aux odeurs de viande grillée, de sauces et de tortillas
Odeur de liberté, d’expansion et de vitesse
Odeur d’abondance et de fraîcheur ;
Odeurs de parfums, de crèmes, de savons et d’essence
Odeurs variées, nombreuses, savoureuses et plus encore
Odeur de pluie, de terre mouillée, de pin, de village,
De tissus, de fils, de sofas, de maisons
Odeurs de famille, d’amis, de rencontres, d’unité
Odeur de torréfaction, qui t’arrête et te fait revenir en arrière
Odeur de spontanéité, d’immensité, d’infini,
Odeurs du connu, de l’inconnu,
Odeurs de tentation, de provocation et d’extase,
Odeur d’avant-goût mélangée à la vue,
Au déjà vu, au vécu,
Les yeux agités, transformés en zoom
essayant de fixer une image
qui tout à coup n’a plus ni bords, ni rivages
S’approcher goulûment et reculer immédiatement
Prise par les sens prisonniers de la mémoire,
Exacerbés par la nouveauté du présent
Dans une explosion de bruits
Paralysants ou stimulants.
Où le temps perd du terrain,
Où l’espace et son volume
Embrument l’esprit, réveillent à nouveau
le mécanisme du désir et la stimulation de l’appétit
Écrasé si méticuleusement pour cultiver
La liberté ou le sentiment de liberté à l’intérieur
Du microcosme carcéral pendant dix ans.
C’est un peu comme aller à la fête foraine sans pouvoir monter dans les manèges
Sans manger de barbe à papa. Juste contempler, avec ivresse,
Laissant les sens vagabonder, voyager.
– Natacha Lopvet Mrikhi –
Les odeurs [à l’intérieur de prison]
L’odeur des égouts, l’odeur de la douche,
l’odeur des sanitaires, l’odeur des tuyaux, l’odeur de l’évier,
l’odeur persistante des poubelles, l’odeur pestilentielle des incinérateurs
des abords de la ville, l’odeur des produits chimiques
des industries de la région portée par le vent.
L’odeur de crasse, l’odeur de pieds,
l’odeur de sueur, l’odeur de graisse,
l’odeur qui sort de la cuisine,
l’odeur de la peur, du tourment, du dégoût, de l’impatience,
de l’intolérance, l’odeur de la répression, l’odeur de l’eau pourrie
qui sort tous les jours du robinet.
L’odeur de vomi, de pisse de chat et d’humain,
l’odeur du tabac froid, l’odeur des punaises,
des cafards, du linge mal lavé, l’odeur de vieux, d’humidité,
de champignons, de poussière, l’odeur du désespoir, de l’injustice,
l’odeur de l’inégalité, l’odeur du crack « la piedra » , du solvant, de la marijuana,
l’odeur de la pâte à modeler , de la colle 5000, l’odeur des ongles fraîchement collés,
l’odeur du polyester, l’odeur de l’huile brûlée, rance, de l’enfermement,
l’odeur des murs sales, des chewing-gums écrasés sur le sol par centaines,
l’odeur de l’essence, l’odeur des freins et des pneus cramés, l’odeur des pesticides.
Odeur de sexe sale, odeur de prostitution, odeur de lucre,
odeur d’adultère, de sans vergogne, odeur de pauvreté, odeur de médiocrité.
Ça sent toujours mauvais
sauf quand l’être se lave, se parfume ou nettoie son espace de vie
ou quand il cuisine un mets très savoureux et y ajoute beaucoup d’amour.
Mais parfois j’aime sentir l’herbe fraîchement coupée
ou bien les fleurs que mes amis viennent de m’apporter
ou les fruits frais (pas OGM) que les mères portent dans leurs paniers.
– Natacha Lopvet Mrikhi –
Traductions Amparo et les trois passants