[Depuis la prison Sud- Mexico] Lettre de Luis Fernando Sotelo

Lettre de Luis Fernando Sotelo
Envoyé par la Croix noire anarchiste de México
11 décembre 2017

Depuis la prison Sud du DF

À ceux et celles qui résistent aux stratégies et aux dispositifs du pouvoir capitaliste.

Aux compagnonnes du monde qui se rebellent et refusent d’accepter les formes de domination.

M’appuyant sur la réciprocité qui, je crois, est à la base de la solidarité véritablement révolutionnaire, je veux partager un chapitre de ma vie et y ajouter une réflexion, bien qu’étant toujours derrière les grilles de la prison, ici face aux bureaux de l’appareil judiciaire, bras de l’État, où la défense de la liberté pour la justice n’est de fait qu’un commerce de valeurs économiques.

Je vais donc vous raconter : aux environs de midi, sans surprise, j’entends le coursier « estafeta » (individu, lui aussi détenu, chargé de présenter les tickets de circulation interne, qui permettent de se rendre aux tribunaux).

Il se met à crier mon nom, je sais alors que je vais recevoir des nouvelles de la quatrième chambre du tribunal pénal et que celle-ci a déjà émis une nouvelle sentence. La notification m’est donnée à travers les grilles du tribunal n° 32. La personne qui me lit le verdict est, je suppose puisqu’il ne s’est pas identifié, secrétaire. Je n’ai vu que lui.

La sentence a été modifiée : la condamnation pour atteinte à la propriété a été supprimée, la seule de toutes ces forces juridiques du cirque de privilégiés patronaux. Cela ne m’enlève donc approximativement que neuf années, en insistant sur le fait que l’on me demande une somme supérieure à huit millions de pesos mexicains pour sortir dès aujourd’hui, si tel est « mon désir », et effectuer le reste de la peine, vingt mois, en conditionnelle.

En somme, on me condamne disant que je suis « pénalement coupable des délits de troubles à l’ordre public et d’attaques aggravées aux voies de communication », et l’on m’« impose une peine de 4 ans 8 mois et 7 jours de prison avec une amende de 71 865,72 pesos mexicains (3,151 euros environ)  ». Je suis condamné au paiement pour réparations de dommages matériels et l’on me « concède la peine substitutive à la détention par le Traitement en Liberté » ; en résumé, le bénéfice de la suspension conditionnelle de la peine est lié à la réparation préalable des dommages (qui est de huit millions de pesos mexicains si je comprends bien) ainsi qu’une caution de 20,000 pesos. (1000 euros environ).

Pourquoi, si la peine de prison est passée de 13 ans 15 jours à 4 ans 8 mois et 7 jours (c’est-à-dire qu’elle a diminué de 8 ans 4 mois et 8 jours), la réparation des dommages est-elle aussi ridiculement excessive ?

Il s’agit du langage technique (ou non) de la logique dominante qui ne se cache plus : minimiser la dimension humaine de la situation. Certes, on ne nie plus les dommages portés au tram et on ne « juge/condamne » plus deux fois (pour atteinte à la propriété et pour troubles à l’ordre public), mais on criminalise la revendication sociale.

Il est vrai, selon moi, que « toutes les révolutions ont connu leurs excès, inutile de le nier, mais cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à une révolution par peur que ces excès ne se produisent », « ni qu’il faille y prendre part allègrement ».

Ce que je veux dire, c’est que si la logique du pouvoir capitaliste est de criminaliser les manifestations sociales en accentuant la répression contre nous qui sommes sortis dans les rues, et qu’elle trouve son expression d’abord dans des procès judiciaires tortueux et ensuite dans des sentences absurdes, c’est parce qu’il s’agit là d’une logique qui ne se justifie pas socialement mais politiquement.

Les jours que nous vivons actuellement sont des jours aux perspectives révolutionnaires.

Aujourd’hui, on peut dire, depuis l’horizontalité avec les autres et depuis l’appartenance, comme toute espèce animale, aux écosystèmes, que ni notre civilisation ni ses œuvres ne survivront à la destruction de la nature elle-même. De la même façon, on ne peut pas continuer à penser actuellement que l’accumulation d’argent serve à un quelconque bien-être commun. On nous terrorise avec des balles, des féminicides ou des cages, sans parler des milliers de violences organisées conjointement avec le système capitaliste.

Le même individu qui m’a lu la décision judiciaire aujourd’hui m’a dit : « eh bien, dis à tes compagnons qu’ils organisent une collecte pour que tu puisses payer la caution », ce que j’ai ressenti comme un sarcasme à mon encontre et qui m’a fait rire, parce que j’ai compris immédiatement qu’il n’avait pas la moindre idée de ce que le monde est en train de changer pour des temps qui, peu à peu, mettent en discussion et en construction des approches révolutionnaires.

Mais j’ai surtout ri parce qu’il n’a jamais été question de payer pour les ouvrages qui représentent l’exploitation, le mépris, la répression et le pillage et qui ont été brûlés dans la rage.

Juridiquement, je souhaite l’affrontement avec les institutions qui défendent et représentent le capitalisme, non pas parce qu’une personne honnête à l’intérieur même du pouvoir pourrait prendre une décision qui me serait favorable, mais parce que c’est ma façon, depuis ma détention, d’avancer pour rendre visible l’injustice. Et en même temps, je comprends pourquoi je suis toujours prisonnier et pourquoi je continuerai de l’être.

C’est un chemin difficile et complexe, marqué par la violence envers ma liberté, et envers la liberté de celles et ceux qui m’accompagnent.

Un salut à tou-te-s et comme dit l’histoire (plus ou moins) : « si les chiens aboient, c’est parce que nous avançons ».

vendredi 8 décembre 2017
– Fer –

*lettre de Luis Fernando Sotelo au sujet de la dernière décision de la quatrième chambre du tribunal pénal.

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