Prisonnières – Ville de Mexico

Nous avons élargi notre solidarité et dernièrement nous sommes en relation avec des prisonnier-e-s dit-e-s de droit commun organisé-e-s dans la prison de Santa Martha Acatitla (Centre Féminin de Réadaptation Sociale de Santa Martha Acatitla, Ville de Mexico) .

 

Le monde du « dehorsdedans » (Fanzine) II

Natacha Lopvet, française, a passé dix ans dans la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla dans la ville de Mexico ; elle est sortie de prison en mai 2017. Natacha s’est accrochée à l’art pour résister à l’isolement et au lent écoulement des jours ; en prison, elle a rejoint la troupe de théâtre “Sabandija”, encouragée et lancée par sa compagne Maye Moreno. En prison, elle faisait également partie d’un collectif d’artistes qui a pour objectif d’aider d’autres femmes à s’exprimer à travers les arts. Elle s’est engagée à partager avec les autres détenues la joie de la création artistique et, pour ce faire, elle participait à plusieurs ateliers de lecture, écriture, peinture, théâtre ainsi qu’à de nombreuses manifestations culturelles. Natacha a également élaboré plusieurs fanzines qui rendent compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance à travers l’art. Après dix ans de prison, Natacha continue de créer des projets artistiques divers à l’extérieur, elle écrit ses vécus, son parcours et continue à rendre visite à sa compagne Maye Moreno tout en menant de nombreux projets ensemble. Pour se rapprocher malgré les murs qui les séparent, Natacha et Maye ont ouvert le blog « Fueradentro » « dehorsdedans ».

« Fueradentro » « dehorsdedans » II

Technologie par Natacha Lopvet

« Je reste parfois surprise et amusée de voir l’attitude des gens dans la rue, les mains pleines de technologie !!! Dix ans sans technologie, j’arrive avec des yeux tout neufs et ça donne ça … »

Du théâtre en prison par Maye Moreno

« Cela fait 12 ans que je fais du théâtre en prison. Ici il n’y a pas de professionnels. Tout se fait de manière empirique, selon les besoins de s’exprimer, de raconter et d’écouter d’autres histoires pour nous redéfinir. Ceci est important pour nous autres car nous sommes en « voie de ré-insertion » … Faire du théâtre dans ces lieux ne nous donne pas de quoi manger, parce qu’ici tout doit être acheté ; exactement comme dehors, d’ailleurs, mais en plus il faut obligatoirement partager son temps entre les cours, les ateliers, le travail, les repas et les heures d’enfermement. Il reste peu de temps pour se consacrer au théâtre. Mais nous le faisons … Le théâtre est un puissant moyen d’expression. J’ai dirigé deux groupes « Sabandija » et « Las Intratables » ; j’ai essayé d’en contaminer d’autres par mon enthousiasme et je les ai invitées à venir raconter leurs histoires. »

 

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[Ville de Mexico] Lettre de Natacha Lopvet envoyée pour la 4ème journée « Des femmes face à la prison » : regards croisés, vécus et luttes.

Fanzine – Écrits de prison : Depuis la prison de femmes de Santa Martha Acatitla [Cliquez sur l’image pour télécharger le fanzine]

« …Tresser des idées, des projets, des rêves, pour réaliser des objectifs reliés à notre vie, parvenir à défaire les nœuds emmêlés que nous n’avons pas réussi à dénouer. Et avec le temps, l’attente, la patience nous éviterons les blessures en chemin, en regardant le monde avec des sourires pour réaliser les fanzines qui accompagnent notre pensée » (…) « Tresser signifie s’emmêler, se rassembler, se mélanger, mais cela signifie aussi se séparer à certains moments (pour faire une tresse, il faut séparer les cheveux) et vivre avec des nœuds qui ne peuvent pas toujours se dénouer aussi facilement que l’on aimerait, il s’agit de tisser différents chemins (les mèches de cheveux) pour les croiser alternativement et former ainsi un seul corps allongé » …

[Ville de Mexico] Lettre de Natacha Lopvet envoyée pour la 4ème journée « Des femmes face à la prison » : regards croisés, vécus et luttes.

Mexico, le 8 février 2018,

Bonjour,

Merci les Trois Passants, El Cambuche, Bruits de Tôles ainsi que les Toulousain·es et tous les amis présents et solidaires avec ceux et celles qui vivent dans et à l’extérieur des prisons.*

J’envoie toujours mes textes à la dernière minute, de la même manière que je vis à la minute, je prends des décisions à la minute, et c’est toujours à la dernière minute que les choses changent, que les événements se créent ou s’annulent. Et c’est comme ça depuis que je suis sortie.

Je tente depuis quelques semaines de jouer le jeu de la « ré-insertion », de frapper aux portes des institutions, des écoles privées, bien peignée, bien coiffée, propre sur moi. Et que croyez-vous ? Cela ne fonctionne pas. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’au fond, je ne veux pas. Le rejet total. Parce que cela empeste l’arrogance et l’arnaque.

Quand on passe dix ans dans un milieu, malgré tout hostile, à réapprendre le respect de soi, de ses désirs, de ses idéaux et de ses codétenu·e·s, on ne peut que constater que la société que l’on rencontre en sortant est complètement dysfonctionnelle. Les valeurs sur lesquelles se basent les sociétés d’aujourd’hui ne peuvent qu’engendrer des drames.

Confinés dans des rêves équivoques, enfants, adolescents et adultes ne peuvent qu’être voués à l’échec, et parce qu’ils veulent sauver ou accéder à des rêves impossibles à matérialiser ils terminent en prison, drogués, obèses, alcooliques ou malades. L’objectif de vouloir ré-insérer des prisonniers dans la société est un leurre. La société est malade, dénuée d’esprit, de poésie et d’empathie.

Comment peut-on se sentir à l’aise au sein d’une communauté qui est régie par la peur, la manipulation, la répression, le dédain, l’ambition et le mensonge ?

J’ai toujours pensé que la prison rendait ses hôtes lucides, en ce sens que l’expérience quelle qu’elle soit doit nous guider et nous ouvrir l’esprit, et je dois avouer que ce que j’observe et expérimente depuis neuf mois me fait un peu vomir. Évidemment, tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir, la liberté a plus que jamais une saveur exquise.

Seulement, mon cerveau aujourd’hui fonctionne différemment, j’observe depuis une autre perspective, vivre dans la vérité, pour de vrai, sans masque, dans le respect, le compañerismo, l’empathie : tous, des concepts que l’on remet au goût du jour en prison, si on veut survivre et se sentir un peu libre de respirer. Dehors, on rencontre le contraire, c’est choquant. Je comprends maintenant pourquoi ceux qui ont passé de nombreuses années dedans ont du mal à ré-intégrer l’environnement (le monde) extérieur.

Je ne peux me résigner à penser que la vie, dehors, est un enfer… Ce serait invivable.

Alors, je vais faire comme dedans, dépasser l’environnement dans lequel je suis, et ne pas autoriser que ce dernier me domine et me ramène dans un enfer quelconque. Je privilégierai mes critères, mes désirs, mon rythme, mes choix, même si je dérange et je bouscule.

Ne pas redevenir un esclave du rêve global.
Je ferai de mon passe-temps mon gagne-pain.
Ne sommes-nous pas sur terre pour nous divertir et jouir de l’existence ?
Un être humain digne est un être humain heureux.

On n’arrive pas en prison pour avoir enfreint la loi, mais pour avoir voulu cesser d’être un esclave, pour avoir voulu rencontrer un espace de liberté.

C’était : l’humeur du jour.

Je vous recommande de vous procurer ce documentaire (Coraje), fait par une Allemande et tourné dans une correctionnelle pour mineures de la ville de Mexico. Où là, même les jeunes issues de cette prison après quelques mois ou années trouvent la vie triste et monotone à l’extérieur, puisque pour ces jeunes, elle consiste uniquement dans la recherche d’emploi, sinon d’argent pour subsister et oublier des activités nouvelles et enrichissantes rencontrées en prison comme le théâtre, entre autres.

Allez, bon vent !

Bon courage et encore merci. Un jour les prisons disparaîtront !!!!

– Natacha Lopvet –

PS : Un clin d’œil à ma mère, aujourd’hui, 11 février, c’est son anniversaire.

*Lettre de Natacha Lopvet envoyée pour la 4ème journée « Des femmes face à la prison » : regards croisés, vécus et luttes.

Plus d’infos Natacha et Maye

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Le monde du dehorsdedans (Fanzine)

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[Ville de Mexico] Natacha: Le lesbianisme est-il une forme de résistance à l’enfermement ?

Natacha Lopvet, française, a passé dix ans dans la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla dans la ville de Mexico ; elle est sortie de prison en mai 2017.

Natacha s’est accrochée à l’art pour résister à l’isolement et au lent écoulement des jours ; en prison, elle a rejoint la troupe de théâtre “Sabandija”, encouragée et lancée par sa compagne Maye. En prison, elle faisait également partie d’un collectif d’artistes qui a pour objectif d’aider d’autres femmes à s’exprimer à travers les arts. Elle s’est engagée à partager avec les autres détenues la joie de la création artistique et, pour ce faire, elle participait à plusieurs ateliers de lecture, écriture, peinture, théâtre ainsi qu’à de nombreuses manifestations culturelles. Natacha a également élaboré plusieurs fanzines qui rendent compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance à travers l’art. Après dix ans de prison, Natacha continue de créer des projets artistiques divers à l’extérieur, elle écrit ses vécus, son parcours et continue à rendre visite à sa compagne tout en menant de nombreux projets ensemble.

« Le lesbianisme est-il une forme de résistance à l’enfermement ? » est le dernier texte qu’elle a écrit pour participer à la 3ème journée de rencontres, d’échanges et de débats « Des femmes face à la prison » : regards croisés, vécus et luttes qui a eu lieu en Ariège le 28 octobre 2017. Nous diffusons ici son texte :

Le lesbianisme est-il une forme de résistance à l’enfermement ?

En prison il y a des femmes qui étaient lesbiennes avant d’y entrer et puis il y a toutes les autres qui, à 90 %, le deviennent, ou qui expérimentent le lesbianisme, depuis la coquetterie en passant par les relations platoniques, jusqu’au projet de mariage et de vie commune, pendant et après la prison. Certaines, après la sortie, retournent avec des hommes mais d’autres restent lesbiennes pour avoir découvert une tendance ou une préférence sexuelle qu’elles ignoraient auparavant.

Des femmes (jeunes en général) entrent en prison et optent pour un rôle d’homme, changent leur aspect, leur façon de se vêtir, de se raser les cheveux, de marcher ou de parler, essentiellement pour se protéger et surtout être maintenue par une femme au niveau économique et affectif : on les appelle les “machin” (petit macho). Elles attirent des femmes, des filles qui cherchent en elles un mari perdu, un père autoritaire, en somme qui cherchent à reproduire un schéma de vie abandonné à leur entrée en prison.

Le lesbianisme est très certainement, entre autres, une forme de résistance à l’enfermement, à l’isolement, à la solitude, à l’abandon, et il est aussi provoqué par une grande promiscuité, des carences matérielles et affectives de grande envergure, une telle adversité rapprochant forcément les êtres.

Malgré les efforts d’ouverture faits ici au Mexique à la communauté LGBTTI* à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, il y a encore beaucoup de discriminations autant de la part des prisonnières que des autorités, dues à l’ignorance, au déni de soi. Je n’étais pas lesbienne en entrant en prison mais au bout de sept ans, je me suis mariée avec une femme qui s’appelle Maye, nous sommes très heureuses.

– Natacha –

* comunidad Lésbico Gay, Bisexual, Transexual, Transgenero e Intersexual (LGBTTI)

Nouvelles du dehorsdedans

Natacha et Maye ont ouvert un blog « Fueradentro » « dehordedans »

https://fueradentro1.blogspot.fr/

« Aujourd’hui c’est jour de visite. Le ciel est bleu et l’air est tiède, même s’il n’est pas des plus limpides. À onze heures tapantes je sors en courant du couloir jusqu’à la salle des visites : Natacha est là, elle est arrivée par surprise, sans me prévenir, et elle m’attend avec une rose à la main, du pain frais et le journal du jour. Nous nous embrassons fort et mon cœur commence à s’emballer. Nous nous asseyons et nous mettons à parler, au début de tout et de rien à la fois, et puis nous nous laissons emporter par l’émotion, nos idées se multiplient et les heures se mettent alors à passer trop vite, à peine sont-elles suffisantes pour défaire et refaire notre monde qui est le monde des anciens et celui des enfants, des enseignants et des ouvriers, des jeunes et de ceux qui sont libres. Le monde qui m’attend dehors et celui dans lequel je vis pour l’instant : celui de dedans. Natacha et moi faisons mille projets pour parcourir sans cesse, pour explorer à fond le monde du dehorsdedans. »

– Maye Moreno –

« Difficile d’être complètement dehors quand quelqu’un est dedans, c’est comme cultiver les deux facettes des sentiments de liberté et d’enfermement, et d’un autre côté c’est résister à l’enfermement en maintenant des pensées infinies. Chacun se situe où il veut ou où il peut, que ce soit dedans ou dehors !!! »

– Natacha Lopvet –

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Fanzine – Écrits de prison : Depuis la prison de femmes de Santa Martha Acatitla

Nous vous présentons ici un fanzine intitulé « Écrits de prison : Depuis la prison de femmes de Santa Martha Acatitla. »

Natacha, Maye, Nancy font partie des 1500 femmes prisonnières qui vivent jour après jour dans la prison de femmes de la ville de Mexico. Avec d’autres prisonnières, elles ont participé par leurs écrits, poèmes et réflexions au fanzine collectif intitulé « LEELATU », qui rend compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de l’attente, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance, du fonctionnement de la hiérarchie carcérale et des classifications du travail en prison, entre autres thématiques liées à l’enfermement.

Nous avons traduit en français quelques réflexions, écrits et poèmes en essayant de faire voyager leur parole et de commencer ainsi à tisser un lien de solidarité avec elles.

Les dessins et les fresques recueillis dans ce fanzine ont également été élaborés par les prisonnières de Santa Martha Acatitla.

… « Tresser des idées, des projets, des rêves, pour réaliser des objectifs reliés à notre vie, parvenir à défaire les nœuds emmêlés que nous n’avons pas réussi à dénouer. Et avec le temps, l’attente, la patience nous éviterons les blessures en chemin, en regardant le monde avec des sourires pour réaliser les fanzines qui accompagnent notre pensée »(…)« Tresser signifie s’emmêler, se rassembler, se mélanger, mais cela signifie aussi se séparer à certains moments (pour faire une tresse, il faut séparer les cheveux) et vivre avec des nœuds qui ne peuvent pas toujours se dénouer aussi facilement que l’on aimerait, il s’agit de tisser différents chemins (les mèches de cheveux) pour les croiser alternativement et former ainsi un seul corps allongé » …

 

fanzinezantamarwebCliquez sur l’image pour télécharger le fanzine

Quelque part dans la ville de Mexico, la ville monstre.

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Écrit de Natacha Lopvet Mrikhi, une semaine après sa sortie de prison.

Voici un texte de Natacha Lopvet Mrikhi, écrit une semaine après sa sortie du Centre Féminin de Réadaptation Sociale de Santa Martha Acatitla, Ville de Mexico. Lorsque Natacha était en prison, elle a écrit le texte « Les odeurs » [en prison]. Ce nouveau texte fait référence aux odeurs du…Dehors.

Natacha Lopvet, française, a passé 10 ans dans la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla. Elle s’est jointe à la troupe de théâtre Sabandija encouragée et lancée par sa compagne. En prison, elle faisait également partie d’un collectif d’artistes qui a pour objectif d’aider d’autres femmes à s’exprimer à travers les arts. Elle s’est engagée à partager avec les autres détenues la joie de la création artistique, et, pour ce faire, elle participait à plusieurs ateliers de lecture, écriture, peinture, théâtre ainsi qu’à de nombreuses manifestations culturelles. Natacha a également élaboré plusieurs fanzines qui rendent compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance à travers l’art. Après 10 ans de prison, Natacha continue de créer des projets artistiques divers à l’extérieur.

ODEURS DU … DEHORS

L’odeur des churros là juste au coin de la rue
Excitant l’odorat, l’appétit et les souvenirs
Odeur de goyave, de mangue, de papaye, de noix de coco et de fraise
Mélangée aux odeurs de viande grillée, de sauces et de tortillas
Odeur de liberté, d’expansion et de vitesse
Odeur d’abondance et de fraîcheur ;
Odeurs de parfums, de crèmes, de savons et d’essence
Odeurs variées, nombreuses, savoureuses et plus encore
Odeur de pluie, de terre mouillée, de pin, de village,
De tissus, de fils, de sofas, de maisons
Odeurs de famille, d’amis, de rencontres, d’unité
Odeur de torréfaction, qui t’arrête et te fait revenir en arrière
Odeur de spontanéité, d’immensité, d’infini,
Odeurs du connu, de l’inconnu,
Odeurs de tentation, de provocation et d’extase,
Odeur d’avant-goût mélangée à la vue,
Au déjà vu, au vécu,
Les yeux agités, transformés en zoom
essayant de fixer une image
qui tout à coup n’a plus ni bords, ni rivages
S’approcher goulûment et reculer immédiatement
Prise par les sens prisonniers de la mémoire,
Exacerbés par la nouveauté du présent
Dans une explosion de bruits
Paralysants ou stimulants.
Où le temps perd du terrain,
Où l’espace et son volume
Embrument l’esprit, réveillent à nouveau
le mécanisme du désir et la stimulation de l’appétit
Écrasé si méticuleusement pour cultiver
La liberté ou le sentiment de liberté à l’intérieur
Du microcosme carcéral pendant dix ans.
C’est un peu comme aller à la fête foraine sans pouvoir monter dans les manèges
Sans manger de barbe à papa. Juste contempler, avec ivresse,
Laissant les sens vagabonder, voyager.

– Natacha Lopvet Mrikhi –

Les odeurs [à l’intérieur de prison]

L’odeur des égouts, l’odeur de la douche,
l’odeur des sanitaires, l’odeur des tuyaux, l’odeur de l’évier,
l’odeur persistante des poubelles, l’odeur pestilentielle des incinérateurs
des abords de la ville, l’odeur des produits chimiques
des industries de la région portée par le vent.
L’odeur de crasse, l’odeur de pieds,
l’odeur de sueur, l’odeur de graisse,
l’odeur qui sort de la cuisine,
l’odeur de la peur, du tourment, du dégoût, de l’impatience,
de l’intolérance, l’odeur de la répression, l’odeur de l’eau pourrie
qui sort tous les jours du robinet.
L’odeur de vomi, de pisse de chat et d’humain,
l’odeur du tabac froid, l’odeur des punaises,
des cafards, du linge mal lavé, l’odeur de vieux, d’humidité,
de champignons, de poussière, l’odeur du désespoir, de l’injustice,
l’odeur de l’inégalité, l’odeur du crack « la piedra » , du solvant, de la marijuana,
l’odeur de la pâte à modeler , de la colle 5000, l’odeur des ongles fraîchement collés,
l’odeur du polyester, l’odeur de l’huile brûlée, rance, de l’enfermement,
l’odeur des murs sales, des chewing-gums écrasés sur le sol par centaines,
l’odeur de l’essence, l’odeur des freins et des pneus cramés, l’odeur des pesticides.
Odeur de sexe sale, odeur de prostitution, odeur de lucre,
odeur d’adultère, de sans vergogne, odeur de pauvreté, odeur de médiocrité.
Ça sent toujours mauvais
sauf quand l’être se lave, se parfume ou nettoie son espace de vie
ou quand il cuisine un mets très savoureux et y ajoute beaucoup d’amour.
Mais parfois j’aime sentir l’herbe fraîchement coupée
ou bien les fleurs que mes amis viennent de m’apporter
ou les fruits frais (pas OGM) que les mères portent dans leurs paniers.

– Natacha Lopvet Mrikhi –

Traductions Amparo et les trois passants

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Derrière les barreaux, la visite

par les trois passants

Le trajet vers la prison de Santa Martha Acatitla (Centro Femenil de Readaptación Social) peut être très long. Quand on vient du sud de la ville de Mexico en matinée, le trajet peut durer plus d’une heure et demie, parfois deux heures. Le trajet est long comme l’attente. ATTENDRE, toujours attendre – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur – l’arrivée, la queue, le contrôle, la douane*, les commentaires mal placés et sexistes, la fouille, l’extorsion, l’humeur de la matonne, la tronche du gardien, la visite, la rencontre, l’autorisation du passage de despensa (shampooing, aliments, papier toilette, serviettes…) attendre l’accolade, des nouvelles. Au contraire des prisons masculines (reclusorios), autour de cette prison féminine il n’y a rien : ni marchés d’aliments, ni restaurants, ni stands de tacos, ni petits magasins pour s’approvisionner, ni toilettes publiques, ni papeteries, ni pharmacies, il y a juste un petit stand improvisé avec des bâches en plastique pour garder les affaires des visiteurs et ce jusqu’à 17h…

Pour arriver jusqu’ici, le bus est rempli à ras bord. On voit tout particulièrement des femmes de tout âge, des femmes chargées de sacs, de paniers, de tupperware et costales [ grand sac tissé pour les grains ], femmes portant des sacs chargés eux aussi à ras bord de « despensas », produits alimentaires basiques , de plats préparés, de fruits, de galettes, de vêtements pour les détenues, de couches et de jouets pour les enfants des détenues – nombreux dans ce « centre ». Dans le bus on sait quelles sont les personnes qui rendent visite à leurs proches et amies en prison car elles sont toutes habillées de la même couleur, les couleurs autorisées par l’administration pénitentiaire : orange, violet, rose, rouge, vert clair, jaune, mauve, surtout des chaussures serrées, pas de bottes ni de capuches, pas de décolletés ni de mini-jupes… Une fois tous les contrôles passés, on est là « à l’intérieur » et l’on essaie de profiter au maximum du temps qu’ils nous donnent. Si l’on a de la chance et si l’on a l’autorisation, on peut rester de 11 heures à 17 heures à parler, échanger, manger, chanter et rêver avec les detenue-s.

Certaines ont envie de rester plus longtemps, jusqu’à l’aube. Quant à elles, les détenues, elles ne rêvent que d’une chose : nous accompagner dehors, s’enfuir avec nous et laisser les barreaux bien loin derrière elles, loin de leur vue et de leur quotidien.

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Sur plus de 248 000 prisonnier-e-s [recensement de 2014] 12 331 sont des femmes. Plus de 50 % attendent leurs procès derrière les barreaux et nombreuses sont celles qui n’ont ni vu ni parlé à un avocat ni au juge d’instruction. Dans de nombreux cas, elles subissent dès leur détention des abus sexuels. Les différentes formes de violence sexuelle consistent à se faire molester, insulter, harceler, ce sont aussi des faveurs sexuelles en échange de certaines nécessités ou pour payer les extorsions. Les contrôles des visites sont minutieux mais le passage et la vente de drogue sont par contre courantes et fluides, et de nombreuses femmes travaillent un max pour pouvoir payer la « piedra » « crack » qui circule aux yeux de tous-tes. La corruption et l’exploitation de la prostitution sont mentionnées dans de nombreux témoignages. Dans la ville de Mexico par exemple, les prisonnières ont signalé avoir été torturées, asphyxiées par un sac plastique sur la tête pour les empêcher de respirer, avoir reçu des coups, des chocs électriques, avoir subi violences psychologiques et viols. Les femmes ne comptent pas sur un suivi gynécologique adéquat et consenti car dans beaucoup de cas la contraception est obligée et forcée, les contraceptifs sont prescrits sans demander leurs antécédents et leurs avis.

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La prison de Santa Martha Acatitla compte 1500 prisonnières environ. Parmi elles, seules 200 femmes environ reçoivent des visites. Ce qui est caractéristique dans cette institution d’enfermement est la quantité d’enfants ; environ 130 enfants sur 400 au niveau national y sont nés et y vivent. Les mères peuvent garder leurs enfants auprès d’elles en prison jusqu’à l’âge de 5 ans et 11 mois ; après, ils sont arrachés à leurs mères et remis à la famille ou bien ils sont placés dans des centres d’accueil pour l’enfance, l’équivalent en France de la DASS.

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santamarta7Ici à Santa Martha, il y a de la couleur partout, de nombreux ateliers de peinture, écriture, danse, théâtre, chorégraphie existent. « Ça aide » à échapper à la douleur, au lent écoulement des heures et des jours passés entre les murs ; résister au système carcéral par la créativité est pour certaines vital pour continuer à vivre en attendant la sortie… De nombreuses fresques habillent cette prison en effaçant le gris et la rouille. L’une d’entre elles représente avec des pendules de sable, des petits sabliers dessinés racontant des histoires diverses, des moments vécus, des attentes, des rêves de fuite, pendules qui veulent que le temps passe vite pour enfin retrouver des rues, des paysages, des lieux, des visages chers de l’en dehors… Une autre fresque représente l’entrée et/ou la sortie de prison ; une porte ayant la forme d’un livre de la Constitution et du Code pénal permet la sortie, ou plutôt l’empêche. La fresque reste ambiguë, les visages et les corps des femmes peints sur cette fresque sont flous, effacés, telle la possibilité de retrouver le plus vite possible la liberté, la vie écoulée… Et avant la fin de la visite, un dernier regard complice aux détenue(s) s’impose, avec ces mots : « à très vite », « tenez bon ». Un dernier regard s’impose qui n’oubliera pas la couleur des murs, la couleur du courage, de la force, de la colère, de la tristesse, du désespoir, de l’envie, du désir de fuir, de s’évader, de disparaître de ce lieu… de sortir !

C’est dans ce contexte que nous avons rencontré Natacha et échangé avec elle.

natachaNatacha Lopvet, 45 ans, française, a passé 9 ans dans la prison pour femmes de Santa Martha Acatitla. Elle s’est jointe à la troupe de théâtre Sabandija encouragée et lancée par sa compagne. Elle fait également partie d’un collectif d’artistes qui a pour objectif d’aider d’autres femmes à s’exprimer à travers les arts. Elle s’est engagée à partager avec les autres détenues la joie de la création artistique, et pour ce faire, elle participe à plusieurs ateliers de lecture, écriture, peinture, théâtre et à de nombreuses manifestations culturelles. Natacha a également élaboré plusieurs fanzines qui rendent compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance à travers l’art…

Voici l’un de ses nombreux écrits :

Les odeurs

L’odeur des égouts, l’odeur de la douche,
l’odeur des sanitaires, l’odeur des tuyaux, l’odeur de l’évier,
l’odeur persistante des poubelles, l’odeur pestilentielle des incinérateurs
des abords de la ville, l’odeur des produits chimiques
des industries de la région portée par le vent.
L’odeur de crasse, l’odeur de pieds,
l’odeur de sueur, l’odeur de graisse,
l’odeur qui sort de la cuisine,
l’odeur de la peur, du tourment, du dégoût, de l’impatience,
de l’intolérance, l’odeur de la répression, l’odeur de l’eau pourrie
qui sort tous les jours du robinet.
L’odeur de vomi, de pisse de chat et d’humain,
l’odeur du tabac froid, l’odeur des punaises,
des cafards, du linge mal lavé, l’odeur de vieux, d’humidité,
de champignons, de poussière, l’odeur du désespoir, de l’injustice,
l’odeur de l’inégalité, l’odeur du crack « la piedra » , du solvant, de la marijuana,
l’odeur de la pâte à modeler , de la colle 5000, l’odeur des ongles fraîchement collés,
l’odeur du polyester, l’odeur de l’huile brûlée, rance, de l’enfermement,
l’odeur des murs sales, des chewing-gums écrasés sur le sol par centaines,
l’odeur de l’essence, l’odeur des freins et des pneus cramés, l’odeur des pesticides.
Odeur de sexe sale, odeur de prostitution, odeur de lucre,
odeur d’adultère, de sans vergogne, odeur de pauvreté, odeur de médiocrité.
Ça sent toujours mauvais
sauf quand l’être se lave, se parfume ou nettoie son espace de vie
ou quand il cuisine un mets très savoureux et y ajoute beaucoup d’amour.
Mais parfois j’aime sentir l’herbe fraîchement coupée
ou bien les fleurs que mes amis viennent de m’apporter
ou les fruits frais (pas OGM) que les mères portent dans leurs paniers.

– Natacha Lopvet Mrikhi –

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Se peindre de toutes les couleurs

Se peindre de toutes les couleurs,
partir loin,
transformer ces murs
en toiles.
Se peindre en peignant
et composer ensuite
la prison en papier;
que le vent emportera,
écrire sur les murs,
en silence.
Se peindre de toutes les couleurs
et les voir s’éloigner
Sortir d’entre ces murs
plus libres et plus forts
abandonner l’enfermement
et ne plus jamais revenir
Comprendre l’enfermement
apprendre avec l’enfermement
démolir l’enfermement
alors, plus jamais
les chemins ne seront incertains
sortir
pour ne plus jamais revenir

– Maye Moreno –

Traductions Amparo, Les trois passants / correction Valérie

 

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Économies souterraines.
Comment survivre en prison. Par le travail ?

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L’entrée d’une femme en prison implique énormément de choses. S’il s’agit d’une primo-délinquante, l’appui de la famille peut jouer un rôle crucial pendant la détention. Nombre de recluses savent qu’elles bénéficient de l’appui d’un avocat, et sont confiantes quant à la possibilité d’être relâchées rapidement. Dans ces conditions, l’argent est le cadet de leurs soucis, alors qu’il joue un rôle pourtant central dans la prison. Survivre est l’expression adéquate pour désigner le séjour des femmes qui ne reçoivent aucune visite, ni aucun appui familial ou légal ; c’est de survie qu’il s’agit lorsqu’on entre dans un monde totalement inconnu régi par la loi du plus fort.

Dès le jour de leur arrivée, elles sont confrontées aux premiers obstacles. S’il n’y a plus d’uniforme beige disponible, les gardiens te fournissent ce qu’ils trouvent, la plupart du temps des habits sales, troués, pas à la bonne taille. Il faut donc commencer par pallier cette difficulté ; les vêtements coûtent 10 pesos la pièce (l’équivalent de 0,47€). L’eau chaude coûte également 10 pesos le seau, et le savon, le shampoing, la serviette ; c’est une avalanche de dépenses. Qui a de l’argent peut se payer ces services, mais celles qui n’ont rien commencent à s’endetter dès l’arrivée. C’est alors qu’il faut trouver le moyen d’obtenir une source de revenus ; la plupart mettent en pratique les savoirs et devoirs qu’elles ont appris dehors, par exemple les tâches ménagères. Elles font le ménage, à 20 pesos par cellule, ce qui inclut de laver le sol, la salle de bains et les toilettes, ainsi que les pots où l’on garde l’eau et qui doivent être lavés tous les jours puisque, traitée, elle n’est pas complètement pure ni potable. On peut aussi faire la lessive, à 3 pesos la pièce ; faisons les comptes : elles doivent laver 10 pièces en moyenne pour obtenir 30 pesos. On peut aussi « faire l’auxi», comme on dit, c’est-à-dire laver une zone pour l’administration (pour celles qui comptent bien obtenir à terme une remise de peine et sortir plus tôt que prévu) ; l’ «auxi» est rémunérée entre 5 et 10 pesos en fonction de la taille et de la zone assignées.

Ces travaux concernent la zone d’arrivée. Il en va autrement à partir du moment où les recluses sont jugées et condamnées. Alors tout change radicalement : la famille, l’avocat, les dépenses, tout a changé. L’argent qu’elles ont dépensé pendant la détention en pensant qu’elles sortiraient bientôt, aujourd’hui, est une réalité tout autre. Les règles de survie ne sont plus les mêmes. Lorsque nous nous retrouvons jugées et condamnées, toute la perspective change, nous savons déjà que la peine que nous avons à purger et que l’inquiétude sont autres. Il faut pouvoir chercher une source de revenus à envoyer à nos enfants : illicitement, cela peut être vendre au marché noir de la nourriture, des desserts de gélatine, des flans, tenir boutique dans le couloir, vendre des produits ménagers, des habits, des chaussures, du parfum, des sous-vêtements, etc. Tout cela concerne les dortoirs de certaines femmes concernées par la vente. Il y en a d’autres où la façon de survivre est différente : transporter des seaux d’eau quand celle-ci se fait rare ; acheter et monter des bidons à n’importe quel étage et dans n’importe quel dortoir ; canastear, c’est-à-dire porter les affaires de celles qui ont assez d’argent pour pouvoir se payer une porteuse ; « faire l’auxi » dans la mesure où presque tout le monde paye pour ça, à prix décroissant en fonction de la nécessité qu’a du ménage celle qui le sollicite ; tirer les chariots de vente ambulante qu’on installe dans les cantines, vendre des cigarettes, des bonbons, du café, etc.

Nous avons toutes besoin les unes des autres, on profite de celles qui ont un pouvoir d’achat et ces dernières profitent de celles qui n’ont pas de visites et/ou des toxicomanes.

– Nancy –

Traduction Lucio / correction les trois passants et Valérie

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Nancy fait partie des 1500 femmes prisonnières qui survivent dans la prison de femmes de la ville de Mexico : Centre Féminin de Réadaptation Sociale de Santa Martha Acatitla. Avec d’autres prisonnières, elle a participé par ses écrits au fanzine collectif intitulé « LEELATU », qui rend compte de la vie et de la survie en prison, du temps, de l’attente, de ce que c’est qu’être une femme en prison, du travail, de l’enfermement, de la résistance, du fonctionnement et de la hiérarchie carcérale.

Note: d’autres écrits sont en cours de traduction

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– Le Centro Femenil de Reinsercion Social Santa Martha Acatitla se trouve dans la Ville de Mexico sur la Calzada Ermita Iztapalapa #4037, Colonia Santa Martha Acatitla, Deleg. Iztapalapa-CP 09560, Mexico D.F. – MEXICO (Mexique)
– Consultation del « Informe sobre la situación de las personas privadas de libertad 2014 ».
– Los Olores « Les odeurs » fait partie des nombreux écrits recueillis dans un fanzine collectif auquel participent plusieurs femmes prisonnières de Santa Martha Acatitla. Le fanzine s’intitule : Fanzine « LEELATU ». Los Olores ( Natacha ) , Pintarse de Colores ( Maye ) Économies souterraines. Comment survivre en prison. Par le travail ? (Nancy); les dessins et fresques recueillis ici ont été élaborés par les prisonnières de Santa Martha.

* la douane : c’est le nom donné aux contrôles par les maton-ne-s des denrées alimentaires, des objets etc. que l’on souhaite faire passer aux détenues.

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Murales (fresques) de la prision de Santa Martha Acatitla

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PASSE-MURAILLE #8 – JUIN 2016

«La réinsertion sociale est un leurre et la bonne conduite un antibiotique pour ne pas se laisser bouffer par le système. Si tu te laisses aller, tu finis avec les camés, si tu ne réfléchis pas, tu fais partie des ânes, et si tu penses trop tu gênes. Je préfère la dernière solution. Je n’ai jamais eu peur d’exprimer mes opinions. Les prisons au Mexique, en France ou ailleurs sont immondes et ne sont que le fruit d’un monde sécuritaire dans lequel on veut nous faire vivre en maintenant les peuples dans la peur et la pauvreté. qu’ils fassent attention parce qu’en prison on pense, et beaucoup.»

Natacha Lopvet

Lecture d’une lettre de Natacha Lopvet