Extrait de l’article « La prison: centre d’intoxication » rédigé par l’équipe médicale solidaire de la CIPRE – Coordination Informelle des Prisonnier.e.s en Résistance, Ville de Mexico, Canero N° 4
C’est en prison que les délinquants se créent, et cela va des prisonniers aliénés au directeur, aux matons et aux autorités.
Les statistiques officielles récentes signalent l’existence de 420 prisons au Mexique où cohabitent 242 000 prisonniers dans un espace prévu pour en accueillir 190 000. Dans ces conditions, les prisons sont des lieux propices à la contagion criminologique. Plus de la moitié de la population carcérale est constituée d’individus qui purgent des peines inférieures à 3 ans pour délits non graves ni violents, mais ils ont bien « mérité la réponse plus « contondante » et ferme de la part de l’État Mexicain, la prison ».
Au Mexique, le code pénal se sert de la prison de façon intensive et irrationnelle. Unique endroit au monde où 95% des infractions prévoient la prison comme forme de sanction. Dans les faits, la présomption d’innocence n’existe pas ni d’autres sanctions alternatives à l’incarcération…
Selon les statistiques de 2013, 220 des 420 prisons se trouvent en situation de surpopulation. Les prisons les plus surpeuplées se trouvent dans l’État de Nayarit avec un taux de surpopulation de 188%, la Ville de Mexico avec 184% et celle de Jalisco avec 176%.
Dans la Ville de Mexico les prisons dépassent les taux de surpopulation pour plus de 200% :
-Prison Oriente avec 274.17%
-Prison Norte avec 250.85%
-Prison Sur avec 217.85%
Cependant dans la prison de Tepeaca dans l’État de Puebla, la surpopulation atteint le taux de 400% dans un espace pour 46 266 prisonniers.
58,8% des prisonniers ont des condamnations inférieures à 3 ans. En janvier 2013, on comptait un total de 101 224 prisonniers sans condamnation, en attente d’un procès, dans la majorité des cas en raison du manque de ressources économiques pour couvrir les frais nécessaires pour avoir une défense adequate. Autrement dit, la capacité répressive de l’État se déchaîne envers les couches les plus défavorisées…
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Les couloirs de la ville défectueuse
Par Tonatiuh
Depuis la prison Nord de Mexico
« Reclu Norte » (Canero n°4)
Les couloirs de la ville défectueuse; l’un des couloirs parmi les plus dangereux et effrayants que tu puisses imaginer.
Tu peux tomber sur toutes sortes de surprises; observer l’entrée et la sortie d’objets pointus et tranchants arrachant la vie des corps humains ; rencontrer des gens qui doivent survivre dans la jungle de murs ; voir des « Chineandolos » : étranglements, serrant le cou par derrière, obstruant le passage d’oxygène au cerveau, perdant connaissance, pour enfin tomber par terre à cause des convulsions et devenir ainsi une proie facile à voler par les prédateurs; se battre à cause d’un simple frottement ou d’un coup de pouce reçu au milieu de la surpopulation carcérale, et tout ça, sans compter tous ceux qui ont perdu la vie en raison d’un vol insignifiant, des tennis, par exemple, ou de trucs du « Barco » : des aliments ou des choses sans aucune valeur que les visites apportent aux détenus.
Il y a des tas de façons de survivre dans « el kilometro » la taule : en vendant « rancho » de la bouffe, des médicaments, des produits comestibles, des vêtements, des chaussures, du pain, des livres, des clés USB, des enceintes, des appareils électriques, des matelas, des couvertures, même du viagra…
On dirait un couloir du quartier d’Indios Verdes ou Pantitlan ; une cour de n’importe quelle station de bus, de n’importe quelle cité à Tlatelolco, ou à l’institut polytechnique national IPN, ou bien l’architecture de n’importe quelle école.
Ce sont les couloirs de cette ville défectueuse et quand on transite par la taule « el kilometro » on doit faire face à toutes ces adversités, en faisant semblant, en prenant l’image de chacal « gandalla » pour pouvoir se défendre de toute sorte d’adversité.
Mais nous sommes prudents pour ne pas tomber dans le jeu des autres, pour ne pas devenir une proie de la corruption des matons, pour ne pas arriver à la punition, perdre ses dents, se faire poignarder ou perdre la vie; pour pouvoir sortir de cette petite ville où t’apprends à voler à grande échelle, à extorquer, à séquestrer, à mentir…
Ce sont les prisons de la ville de Mexico; l’image et le reflet des villes urbaines.
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Depuis L’enfer…
Par Ivan Rodriguez Tamayo
Depuis la Prison Nord
« Reclu Norte » (Canero n°4)
Imaginez seulement la scène, une chambre de 4m x 4m, occupée par 12 individus qui avec toute la force de leurs coeurs et le peu qui reste de l’âme, se limitent à se regarder les uns les autres avec respect mais toujours en se méfiant ; peu importe combien de temps ça fait qu’ils se connaissent ils ne pourront jamais savoir véritablement ce que pense l’un de l’autre, énigmes dans les ténèbres qui rôdent dans les couloirs obscurs ; mensonge, amertume, jalousie, anxiété, peur, rancune, tristesse, insécurité, faim, froid, honte, solitude, adrénaline, colère, luxure, désespoir, orgueil, inégalité, abus, maltraitance, fatigue et surtout, douleur, beaucoup de douleur, de vide, ce sont quelques sentiments qui régnaient et gouvernaient cet endroit…
Ma maison depuis le 5 septembre 2009, je me souviens de la façon dont je suis arrivé ici, en réalité, j’avais mis du temps à arriver, mais quand ce fut mon tour, simplement je n’ai rien pu faire pour l’empêcher en touchant ainsi les portes de cet enfer…
Mes actions, mensonges, toxicomanie, jalousie, manque de confiance, peur, m’ont amené ici, dans un clin d’oeil j’ai atterri là, dans un monde nouveau avec ses propres règles, protocoles, systèmes d’organisation, totalement méconnus pour moi, un tunnel obscur où tes propres peurs et démons créent leurs propres histoires, l’imagination et le mythe urbain construisent maintenant ton chemin…
Les murmures depuis l’obscurité t’appellent, te guident ou simplement te parlent, règles qui cassent, accords qui finissent en trahison, un cercle vicieux de magouilles de tricheries que simplement commencent à nouveau, doutes, questions : Qu’arrivera-t-il demain ? Qu’est ce qui va suivre ?…
A la fin de tout, il s’agit d’un chemin sans retour qui recommence et t’enferme dans un endroit éternel, un abîme qui te regarde et toi, tu te demandes comme d’habitude, la même chose, pourquoi je suis là ? Quand est-ce que je partirai ?…
Et quand la nuit tombe, le père chronos continue d’avancer.
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Voix depuis la prison Nord de la Ville de Mexico (Canero n°4) + D’INFO
Traductions: Amparo, Les trois passants / corrections: Val, Valérie et Myriam
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